Chaque jour, nous faisons preuve d’ingratitude. L’humain est ingrat car il est un éternel insatisfait.
Nous oublions toujours, dans notre quête de désir infini, de reconnaître et remercier ce qui nous est donné. Parfois, sans nous en rendre compte, et parfois à dessein (c’est dans ce cas-là que nous souffrons le plus). Et si, de l’ingratitude, nous tâchions d’être toujours reconnaissants ? Si, plutôt que d’être tournés vers nous-mêmes, nous nous tournions vers l’autre ? Dans le passage de l’ingratitude à la gratitude se trouve une immense source de bonheur.
L’ingratitude commence dès lors que nous oublions de reconnaître que l’essentiel ne vient pas de nous. Or dans le monde moderne, où l’humain se caractérise par son individualisme exacerbé, nous faisons constamment preuve d’ingratitude. Nous sommes premièrement ingrats envers la nature. Chaque minute qui s’écoule n’est rendue possible que par elle, à travers l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, les aliments que nous consommons, tout cela dans un chef-d’œuvre biologique qu’est le corps humain. La nature nous permet chaque jour de tenir debout et pourtant, nous en faisons un poison : nous vidons des océans, rasons des forêts, brûlons des terres, … Et faisons de même avec nous-mêmes, en consommant des produits toxiques, en avalant des aliments transformés, en exposant son corps au stress… La première des gratitudes à porter est à l’égard de la nature. Ce devrait être le préalable à toute action et nous conduire à consommer plus sainement et plus sobrement, à adopter un mode de vie en équilibre avec ce qui nous est offert, pour respecter la nature et nous respecter par la même occasion.
En société, l’ingratitude est également collective lorsque nous oublions d’être reconnaissants envers les personnes qui rendent notre vie meilleure chaque jour, que ce soit les infirmiers, les pompiers, les enseignants, les agriculteurs… Ces personnes invisibilisées qui, dans un monde où le succès financier prédomine, occupent des métiers utiles à tous, loin des préoccupations matérielles. La moindre des gratitudes à leur égard est de les valoriser, non par intérêt ponctuel (comme lorsque nous sommes confinés), mais dans des remerciements quotidiens, lors de discussions, d’actions politiques ou militantes… En agissant en leur faveur, sans compter, pour rappeler que leur métier est essentiel à tous.
L’ingratitude se matérialise également, et très souvent, envers nos proches, que ce soit nos amis, notre partenaire, nos parents. Ces personnes avec qui nous sommes parfois si exigeants que nous devenons plus impolis qu’avec d’autres. À qui nous pensons que l’amitié ou l’amour est acquis en oubliant que toute relation s’entretient par une bienveillance réciproque. La gratitude envers eux demande une présence active, une attention décuplée, un respect implacable et des actes de générosité permanents.
Enfin, nous faisons également preuve d’autres ingratitudes plus subtiles, notamment envers l’histoire quand nous répétons les erreurs du passé, envers le savoir et la science quand nous interprétons la mémoire de ceux qui nous ont précédés…
L’antidote à l’ingratitude est la reconnaissance sincère. Non pas en nous sentant coupable d’avoir reçu, mais en faisant preuve de gratitude sans limites et de manière permanente. Prendre conscience de cela et remercier tout ce qui nous permet d’exister et de vivre.
Mais le plus souvent, la gratitude s’impose d’elle-même. Elle crée un sentiment de culpabilité lorsqu’une personne nous aide sans rien attendre en retour, comme dans la parabole du maître et de l’esclave décrite par Hegel, où le maître en vient à dépendre spirituellement de l’esclave pour le travail qu’il lui rend. La gratitude finit donc par s’imposer naturellement, et montre surtout l’importance fondamentale de l’altruisme. Le passage de l’ingratitude à la gratitude est étroit, parce qu’il suppose de faire l’effort de ne plus penser pour soi mais pour les autres. Il permet néanmoins de passer d’un état de tension et de repli à un sentiment de don, de transmission et de détachement. Cette transition est la condition d’une vie épanouie, la condition d’une société harmonieuse.